Par Jérémie

Orson Scott Card

Orson Scott Card

Les deux personnages-enfants dont je vais vous parler ont été créés par Orson Scott Card : il s’agit d’Andrew Wiggin, alias Ender, dans « La stratégie Ender » (premier tome d’un cycle de science-fiction plusieurs fois primé et adapté au cinéma) et Alvin Miller dans « Les chroniques d’Alvin le faiseur » (cycle de fantasy).

Je vous propose de nous pencher ensemble sur ce qui distingue ces deux enfants exceptionnels des enfants ordinaires qui nous entourent, et observons ce qui a fait leur succès. J’espère que ça vous donnera des idées pour vos propres romans.

Différences et points communs avec les enfants ordinaires

O.S. Card a fait d’Ender et d’Alvin des enfants surdoués et même si cela génère des invraisemblances, on l’accepte car c’est au service de l’histoire. En créant ces personnages, son but est d’interroger la destinée de ceux qui ont de grands pouvoirs, l’intelligence pour Ender, la magie pour Alvin. Pour lui, grands pouvoirs = grandes responsabilités envers l’Humanité.
Et bien entendu, ces enfants sont confrontés à des adversaires non moins exceptionnels : une race d’extra-terrestres hostiles nommés les Doryphores pour Ender, et pour Alvin, le Défaiseur qui menace de la destruction et du chaos la jeune civilisation américaine (ça se passe au 19e siècle).

Bref, dès cinq ans, Ender pense, parle et agit comme un adulte miniature dans ses relations avec les adultes de l’école, avec les autres élèves et pendant les exercices d’entraînement. Stratégie, dureté, violence, implacabilité. Il ne se bat pas pour gagner, il se bat pour détruire l’adversaire et s’assurer qu’il ne lui cause plus jamais de mal. Il a un côté irréel car il semble déjà tout savoir et n’avoir rien à apprendre, avec une grande capacité d’abstraction et de stratégie (que n’ont pas les enfants de cet âge, c’est évident).
En dehors de son corps, la seule chose qui le relie à l’enfance normale, c’est le rapport qu’il entretient avec sa famille dont il a été séparé pour aller à l’école de guerre :

  • – Il est blessé par l’indifférence de ses parents à son égard et par le fait que sa naissance a été « arrangée » avec les autorités en espérant qu’il soit surdoué, les 2 aînés ayant échoué aux tests. En effet, dans ce futur, il est interdit d’avoir plus de 2 enfants. Or, un enfant a besoin de se sentir aimé, de sentir que sa naissance a été désirée, de se sentir rassuré par rapport à son avenir.
  • – Il est hanté par la cruauté et la maltraitance de son grand frère Peter à son encontre. Comme tous les enfants, il est sensible à la violence verbale et psychologique, il n’est pas encore armé contre ça.
  • – Il est triste d’avoir été séparé de sa grande sœur, la seule personne à lui avoir témoigné de l’affection et à l’avoir protégé contre la méchanceté de son frère aîné.

 

Si vous avez aimé le film, je vous conseille vraiment le roman, il est infiniment plus riche. Et si vous n’avez pas vu le film, lisez le livre avant pour pouvoir le savourer sans connaître le dévoilement final.

Alvin quant à lui tient beaucoup plus d’un enfant réel qui vivrait à la campagne au 19e siècle, dans un monde uchronique, même si, très jeune, il adopte des résolutions morales dignes de grandes personnes. Par exemple, de ne jamais se servir de ses pouvoirs magiques à des fins égoïstes, seulement pour aider les autres.

  • Il aime qu’on lui raconte des histoires, surtout celles qui sont un peu fantastiques, et surtout quand sa mère veut qu’il aille à l’église ou au lit.
  • Il joue à la bagarre avec son petit frère, il aime savoir qui est le plus fort et décider qui est le chef (jeu très courant chez les garçons dans la cour de l’école où je travaillais l’an dernier),
  • Il pose en toute innocence des questions dérangeantes pour les adultes (sur les désaccords éducatifs et religieux entre ses parents par exemple), parce que ça bouleverse la vision qu’il a du monde où les choses sont noires ou blanches.
  • Il s’amuse à tester les limites de l’autorité parentale, comme beaucoup d’enfants. Effronteries, désobéissances.
  • Il parle comme un enfant : la syntaxe (l’ordre des mots, par exemple la répétition du sujet : « le prince, il veut manger »), la grammaire (les enfants va jouer), la prononciation (zozotement de l’enfant ou mots mal prononcés comme le fameux « crocrodile »).
  • – Il a besoin qu’on le rassure et qu’on le protège.

 

Ce qui rend ces personnages si charismatiques

Capital pour le succès de votre histoire : le charisme de vos personnages. Ce sont à eux que le lecteur doit s’attacher, c’est pour eux qu’il doit s’attendrir, trembler ou s’indigner.

Ce qui rend Ender si charismatique, c’est l’apparente opposition entre le côté extrêmement mature et réfléchi qui permet qu’on s’identifie à lui et le côté « orphelin fragile » qui fait qu’on le regarde avec compassion.
On frémit de voir Ender confronté à des situations de plus en plus difficiles face auxquelles la plupart se déclareraient vaincus d’avance, alors qu’il n’est « qu’un enfant » à nos yeux. L’auteur a savamment dosé cette progression et les injustices que lui font subir ses professeurs et camarades, et c’est ça qui pousse le lecteur à se ranger à ses côtés. On se demande comment il va s’en sortir, on le souhaite de tout notre cœur et on jubile quand il y parvient.
Peu à peu, Ender acquiert une aura de surhomme ou de quasi-dieu, mais il reste sympathique et accessible grâce à ce côté fragile et sensible. On l’aime aussi parce qu’il n’essaie jamais de rabaisser les autres et qu’il est juste. Et quand il utilise la violence, c’est toujours de la légitime défense. Cette attitude fait qu’on lui fait confiance et qu’on ferait volontiers partie de son armée.

Alvin, contrairement à Ender, a un côté très espiègle et joyeux qui suscite la tendresse et l’amusement du lecteur. Au début de l’histoire, il commet une erreur comme les enfants peuvent en faire, une erreur parce qu’il n’a pas réfléchi aux conséquences de son acte (vous me direz, ça arrive aux adultes aussi). L’auteur le met volontairement en situation de « faute » et on ressent avec lui sa culpabilité et son évolution vers une prise de conscience. Une fois qu’il a vécu cette expérience émotionnelle avec Alvin, le lecteur est complètement rallié à sa cause.
Mais ce personnage possède aussi une noblesse de cœur qui fait qu’on l’admire et qu’on le respecte. Lui aussi se retrouve plongé dans un conflit où les forces en présence le dépassent et on ne peut que compatir et craindre pour sa vie. D’autant qu’il ne se dérobe pas face à ses responsabilités (celles conférées par la possession de grands pouvoirs magiques) et qu’il fait vite preuve d’une grande force de caractère et d’altruisme.

Conclusion

Vous connaissez maintenant plusieurs leviers sur lesquels jouer pour mettre en scène des enfants exceptionnels dans votre histoire ou, au contraire, les comportements irréalistes à éviter si vous voulez créer des enfants ordinaires qui soient crédibles.
Dans les deux cas, n’oubliez pas ce qui peut rendre n’importe quel personnage attachant : ce sont les émotions que le lecteur vit en accompagnant le héros dans des situations épineuses, difficiles, voire totalement injustes.
Ah ! oui, j’oubliais un avantage du personnage-enfant : vous pouvez le faire grandir au fil des tomes d’une saga !