Suite à la dernière Lettre du Dimanche, la quasi-totalité des questions que vous m’avez posées tournent autour d’un sujet très précis.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle conjonction arrive.

D’ailleurs, certains me demandent parfois comment je fais pour lire dans leur pensée ou si je les espionne, car la Lettre du Dimanche répond précisément à LA question qu’ils se posaient la veille et, selon leurs dires, les motive, voire les délivre !

Il y a, je pense, une raison profonde.

Nous ne sommes pas des îles isolées. Notre humanité est bien plus qu’une somme d’individus. Avant même Internet, nous sommes connectés.

Or, votre goût pour l’écriture vous ouvre une voie. Vous stimulez votre sensibilité. Votre inspiration plonge ses racines – plus profondément que vous l’imaginez peut-être. Cette immensité intérieure cache des trésors essentiels et spécifiques, des liens mystérieux qui vous rattachent aux autres.

Alors, quand vous vous confrontez à l’écriture d’histoires, les mêmes attentes fondamentales remuent, vous les sentez sourdre.

Mais ça n’explique pas encore la conjonction.

D’abord, je suis à votre écoute, moi aussi.

Croyez-le, c’est une véritable passion, qui m’éveille parfois la nuit.

Mieux encore : c’est une vertu que je travaille depuis des années.

J’ai d’abord passé 5 ans au séminaire : 5 ans à prier, à méditer, à m’ouvrir à la tendresse infinie, à me donner sans retour aux autres. J’ai assisté à de grandes souffrances, à la pauvreté, à des errances, aux joies simples, aussi. J’ai traversé des nuits mystérieuses, sans lune ni étoile, où l’empathie s’est creusée comme les vagues repoussent la falaise.

Puis j’ai scruté les profondeurs de la philosophie en université, de la psychologie, aussi. J’ai enseigné, un peu, à la lumière d’Aristote.

Et enfin, par la logique, je suis descendu au fond de la dramaturgie, dans la dynamique intime des histoires.

Alors, ce n’est pas une écoute dans le vide. Et je vous écris à vous, personnellement. Je pense que vous pouvez le sentir, si vous me suivez depuis quelques temps.

Et, non je ne suis pas télépathe (je préfère le préciser à ceux qui viennent de s’inscrire à cette Lettre du Dimanche !).

 

La raison de cette conjonction est à chercher un peu ailleurs :

… Ce rythme hebdomadaire…

… Ces sujets qui touchent au cœur, à l’écriture, aux histoires…

… Cet effort permanent pour scruter vos besoins d’auteurs…

… Vos confidences vibrantes, votre confiance incroyable …

… Et l’enthousiasme amical que vous me partagez en retour !

 

Voilà qui nous accorde, comme une respiration commune.

Oui, la communication véritable n’est pas une performance, ni un jeu d’acteur ou de marionnette.

Ça peut aider, bien sûr. Mais la technique extérieure n’est qu’une goutte d’eau comparée au brasier ardent qui brûle au fond de votre âme.

La vraie communication est bienveillance. Elle est générosité.

Remarquez, ce genre de conjonctions n’est pas exclusif aux auteurs. Regardez les innovations scientifiques, par exemple : il n’est pas rare qu’un éclair génial frappe au même moment deux scientifiques dans deux pays éloignés…

Et puis, il y a sans doute une raison bien plus élevée, car, comme l’a prouvé Aristote dans ses Physiques, le hasard n’est pas une cause.

Mais ce long détour a assez duré. Venons-en au sujet de cette Lettre du Dimanche.

Ecrire sa biographie

Elle doit répondre à ces auteurs qui veulent écrire leur vie.

Pour :

  • Exorciser les événements douloureux,
  • Objectiver leurs ressentis dans lesquels ils se noient,
  • trouver un chemin,
  • témoigner et partager aussi.

Avec tous les problèmes propres au genre autobiographique : doit-on tout dire ? et donc, doit-on tout se rappeler ? Dans le bon ordre ? Cela va-t-il être intéressant ? Mais les personnes concernées ne vont-elles pas se reconnaître (avec tous les risques relationnels et juridiques que ça peut entraîner) ? etc.

J’ai souvent été confronté à cette approche hautement sensible.

Avec Christie Bronn par exemple, qui a fait un travail remarqué dans son best-seller Eveille-moi, mêlant un thriller haletant et une romance où les errances d’une écorchée vive nous plongent dans le labyrinthe des relations nocives.

Avant tout, l’approche autobiographique partage le processus « normal » des autres romans.

En effet, on se pose la question du « doit-on-tout-dire-et-dans-quel-ordre », quelle que soit l’histoire.

Bien sûr, cette question se pose différemment ici, car l’auteur est dans une démarche de vérité. Il ne veut pas « inventer » une histoire puisqu’il l’a déjà vécue. Et, comme je l’ai dit plus haut, l’auteur veut s’en décharger : l’enjeu personnel est donc de ne surtout pas passer à côté en racontant autre chose !

Je prends bien en compte cela quand je dis que le processus est le même pour tous les romans.

Ce qu’il faut bien se rappeler, c’est que la vérité a de nombreuses facettes et que l’objectivité pure n’est possible qu’à de rares conditions.

D’abord, l’image que vous avez de votre propre vie est teintée. Vos souvenirs ne sont pas le fidèle reflet de la réalité passée. Ils ne sont même pas les restes de vos sentiments, comme si vous aviez pu les figer sur le moment pour les conserver dans le formol ou dans la pensive de Dumbledore.

Il y aura toujours une interprétation selon l’état du moment, selon les objectifs, selon les influences, etc.

Par exemple, l’historien ne pourra pas en rester aux indices ou aux preuves indirectes du passé. Il devra les relier, leur donner sens. Il devra justifier son raisonnement, mais sans jamais pouvoir le prouver avec certitude. Il aura toujours un biais.

Et ça ne se limite pas aux actions des hommes : un scientifique expérimental, un physicien qui prend les mesures d’une trajectoire par exemple, aura toujours des points qui sortent de sa courbe, c’est-à-dire des mesures qui contredisent plus ou moins fortement son hypothèse. Alors, il les laisse de côté, volontairement, en attendant mieux, plus précis. Car cette hypothèse, cette courbe, sont des projections mathématiques pour donner sens à un phénomène particulier.

 

Donner sens.

Voilà le premier travail à faire, quel que soit votre roman.
D’abord pour vous-même : que ce soit l’idée magmatique d’un monde étrange, une intrigue sordide dans les bas-fonds de Londres ou votre propre passé : vous devez puiser au plus profond et choisir ce qui est le plus signifiant, le plus important pour vous.

Cela demande d’affronter vos propres monstres. Pas ceux qui vous ont harcelé dans votre famille ou à votre bureau (eux, ils sont évidents… Cette semaine, j’ai d’ailleurs été touché par ce texte). Mais vos propres blessures, les plus intimes, celles-là même qui vous ont fait chuter, qui vous terrorisent, qui ont commandé des dizaines d’années d’errance, de barricades, et qui dessinent peut-être encore un futur qui vous échappe…

Car c’est là l’essentiel de ce que vous avez à donner.

Vous, votre propre faiblesse, mais aussi vos propres solutions.

 

La vraie communication est généreuse.

Si vous voulez vraiment toucher vos lecteurs, puisez à la source.

Ça ne veut pas dire qu’il faut que vos personnages vous ressemblent pour autant. C’est l’histoire dans son ensemble qui sera à votre image.

 

Cela entraîne les réponses aux questions :

Doit-on tout dire (et dans quel ordre) ?

Non bien sûr vous n’êtes pas obligé de tout dire. Il faut faire passer l’essentiel. Cela demande de faire votre propre tri. De toute façon, vous ne ferez jamais tenir les 525 600 minutes d’une année dans un roman, n’est-ce pas ?

Et puis, personne n’est derrière vous pour vous dire si vous avez loupé quelque chose ou si vous vous trompez sur tel ou tel évènement. C’est votre interprétation et votre façon de présenter ces événements.

Si vous avez un risque juridique (parce que certaines personnes sont visées), le mieux est d’avoir l’avis de votre avocat.

 

C’est pareil pour l’ordre temporel : si un ordre légèrement différent permet de mieux faire passer le message principal, choisissez-le.

Cela demande, évidemment d’avoir déterminé ce message principal, bien avant de commencer la rédaction et la structuration.

Cela va-t-il intéresser les lecteurs ?

Oui, si vous choisissez ce qui est intéressant et que vous la racontez de manière intéressante. Vous avez vécu des moments plus forts que d’autres. Choisissez-les. Un événement majeur portera votre intrigue et passionnera votre lecteur.

Et vous les dramatiserez, comme n’importe quelle autre histoire à raconter.

Dramatiser, c’est renforcer l’action intime des événements, la rassembler, la condenser, la distiller, la structurer et la présenter avec son maximum d’intensité.

 

Est-ce mentir ?

Non. C’est interpréter, présenter et raconter.

Vous ne voulez pas tromper : vous voulez faire passer votre message.

Prenez les moyens de le partager !

 

Au boulot !

Eric

***

Pas encore inscrit à la Lettre du Dimanche ?!

Inscrivez-vous maintenant (vous recevrez en prime quelques cours d’écriture gratuits) :